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“Si on tire de près, on peut les tuer” : le constat est net, et il vient d’un membre des forces paramilitaires iraniennes du Basij qui a accepté de s’entretenir avec la rédaction des Observateurs. Son unité n’a pas hésité à tirer des balles de chevrotine sur les manifestants qui protestent depuis mi-septembre contre le régime. Ces projectiles, utilisés à bonne distance, ne sont pas censés être létaux, mais ils ont tué des dizaines de manifestants.
Au moins 227 Iraniens ont été tués dans le mouvement de protestation qui secoue le pays depuis le 16 septembre, suite au décès de Mahsa Amini après son arrestation par la police morale.
Lors du massacre le plus meurtrier – plus de 66 personnes tuées dans la ville de Zahedan le 30 septembre – de ce mouvement, la police a ouvert le feu à balles réelles sur les manifestants. Mais ailleurs, d’autres ont été tués ou blessés par des “armes non létales”, notamment des balles de chevrotine.
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Des dizaines d’images publiées sur les réseaux sociaux et notamment corroborées par Amnesty international, documentent l’usage de fusil à pompe par les forces de sécurité iraniennes, dont des agents de police, les forces paramilitaires du Basij, ainsi que la police anti-émeute.
La rédaction des Observateurs a récolté et vérifié plus de cent images envoyées par nos Observateurs des quatre coins du pays. Elles montrent le recours par la police à des munitions “non létales”. Notre source, un agent du Basij, assure que son unité est équipée et entraînée à manier ces munitions, et bénéficie également d’armes de combat de type Kalashnikov. Selon la même source, les forces de l’ordre pourraient finir par recevoir l’ordre d’utiliser ces armes contre les manifestants, comme ce fut le cas en 2019, lorsqu’au moins 1 500 manifestants avaient trouvé la mort en deux semaines.
“Ils les ciblent à la poitrine ou à la tête pour tuer.”
Mostafa (pseudonyme), membre des forces du Basij, participe à la répression des manifestants dans une ville du nord de l’Iran. Nous avons pu confirmer son identité, mais pour sa sécurité aucun détail l’identifiant ne sera publié. Mostafa et ses collègues du Basij ont été entraînés à utiliser des armes “non létales”, mais selon lui, tous n’appliquent pas les consignes lors des confrontations avec les manifestants.
“Dans notre unité, nous avons des fusils, des bombes lacrymogènes, des lance-grenades et des tasers. Nous avons eu quelques heures d’entraînement à ces armes “non létales”.
Nous avons appris quelles armes utiliser dans quelle situation. Nous nous sommes entrainés également sur des cibles, surtout avec du paintball, peut-être parce que c’est moins coûteux.
Nous sommes aussi formés au contrôle des foules, mais je pense que c’est inutile. Les manifestations sur le terrain n’ont rien à voir avec les entraînements. Par exemple, durant nos sessions d'entraînement, nous avons l’ordre de tirer au sol si la cible est trop proche. Mais personne ne fait cela…
“Nous utiliserons les kalashnikovs lorsque l’ordre sera donné”
J’essaie au possible de ne pas atteindre des manifestants. Je tire au sol ou dans d'autres directions pour effrayer et disperser les gens. Mais tout le monde n’est pas comme moi : d’autres agents de mon unité tirent sur les manifestants. Ils les ciblent à la poitrine ou à la tête pour tuer.
Si on tue quelqu’un, il n’y aura pas de répercussions. Ce qui donne carte blanche à beaucoup d’agents qui n’hésitent pas à viser la tête. Cela peut être fatal.
Nous avons aussi des kalachnikovs dans notre arsenal, mais nous ne les avons pas encore utilisées. Ces fusils sont réservés pour le moment au Corps des gardiens de la révolution islamique et à la police. D’après mes informations, l’arsenal des Basij est le même dans toutes les unités à travers le pays. En tant qu’agents du Basij, nous n’avons pas reçu d’ordre de recourir aux kalashnikovs, mais nous les avons déjà sorties en 2019, et nous les utiliserons de nouveau lorsque l’ordre sera donné.
Au moins 13 morts par fusil à pompe
Selon Raha Bahreïni, membre d’Amnesty International, au moins 13 manifestants, dont trois adolescents, ont été tués depuis le 16 septembre par balle de fusil. Elle précise à la rédaction des Observateurs que ces tueries se sont passées dans les provinces du Kurdistan, de Kermanshah, d’Alborz, de Fars et de l’Azerbaïdjan occidental.
Parmi ces victimes, Hadis Najafi, 22 ans, décédée de ses blessures au fusil à pompe alors qu’elle participait à une manifestation dans la ville de Karaj, le 21 septembre. Sa famille indique qu’elle a reçu plus de vingt balles dans le visage et la poitrine.
Reza Shahparnia, 23 ans, est lui mort le 20 septembre à Kermanshah. Selon sa famille, il a succombé à ses blessures, causées par plus de 70 balles de chevrotines dans le corps.
A ce jour, le nombre de manifestants blessés à l’œil ou paralysés reste inconnu.
Des douilles retrouvées dans 49 manifestations différentes
Notre rédaction a pu récupérer des dizaines de photos de douilles, prises dans 49 manifestations différentes et envoyées par nos Observateurs iraniens. Ils disent avoir été témoins de l’usage de ces projectiles par les forces de l’ordre. Nous avons pu vérifier ces images en les croisant avec des témoignages sur le terrain ainsi que des publications sur les réseaux sociaux confirmant tel ou tel incident survenu durant une manifestation. Parmi ces incidents, 26 ont eu lieu dans huit villes différentes : Téhéran, Machhad, Yazd, Kish, Sanandaj, Zahedan, Gohardasht et Karaj.
Ces images montrent une large panoplie de douilles, dont des cartouches de fusil à pompe, du plomb de fusil et des canettes de bombes lacrymogènes. Nous avons également reçu des images montrant des blessures causées par ces armes “non létales”.
La majorité des images envoyées montre des cartouches de fusil de chasse. Sur douze cartouches récupérées lors de manifestations, dix avaient des douilles transparentes et l'inscription "Maham *12*" sur leur base métallique, indiquant qu'il s'agissait de cartouches de calibre 12 fabriquées par Shahid Shiroudi Military Industries, l'un des plus grands fabricants de munitions d'Iran.
Plusieurs des cartouches Maham portent des marquages en anglais, comme celle retrouvée à Sanandaj sur laquelle on peut lire : "ANTI RIOTS RBC SOFT XXX" ou, sur une autre envoyée depuis Karaj : "ANTI RIOTS RBC HARD 3/2015". La cartouche de Karaj, inutilisée, contient plusieurs plombs de couleur orange.
Sur deux autres images de cartouches usagées examinées par notre rédaction, on peut voir des culots portant le logo de Cheddite, un fabricant franco-italien, et des douilles jaunes ou vertes. Une cartouche avec une douille verte, retrouvée à Yazd, portait l'inscription "Shahin 2017 4", une marque de munitions de chasse fabriquée par Shahid Shiroudi. Les cartouches de fusil de chasse à culot Cheddite et à douille Shahin sont couramment utilisées par les chasseurs iraniens pour abattre du gibier.
"Si vous tirez à courte distance, vous pouvez tuer".
Mostafa, le membre du Basij auquel nous avons parlé, nous a envoyé une photo d'une boîte de cartouches Maham avec des douilles transparentes et l'inscription "ANTI RIOTS RBC SOFT." Il affirme que les cartouches Maham sont des cartouches "standard" pour les forces de sécurité. Nous ne publions pas sa photo pour des raisons de sécurité.
Nous avons beaucoup de cartouches transparentes Maham. Il y a des cartouches remplies de balles "molles" , qui contiennent généralement des balles en caoutchouc plus grosses. Elles sont douloureuses, mais elles font moins mal si vous évitez de tirer sur le visage et les yeux. Il y en a d’autres avec des billes "dures", plus petites. Dans celles-ci, les douilles contiennent beaucoup de billes dures.
Nous tirons avec tout ce qu'ils nous donnent. La plupart du temps, ce sont les Mahams transparents de calibre 12, mais on nous a aussi donné des cartouches de couleur, qui ne sont pas forcément destinées à faire de l’intervention anti-émeute. Elles n'ont pas de marquage et contiennent surtout de minuscules billes. Nous en avons de plus en plus ces derniers temps. Elles ne sont pas livrées dans les boîtes normales de Maham. Je ne sais pas s'il s'agit de Maham ou d'autre chose.
Quelle est la signification de l'inscription sur la base de la cartouche ? Si c'est un calibre 12, il y a de petites billes de fer à l'intérieur que vous tirez et l'autre côté se brise. Avez-vous vu les photos de personnes abattues avec des fusils de chasse ? Ils ont de petites blessures sur tout le corps à cause de ces petites billes de fer.
Si vous touchez un oiseau avec, c'est mortel. Si vous touchez une personne, c'est douloureux. Ça peut rendre quelqu'un aveugle ou le paralyser à jamais. A bout portant, vous pouvez aussi tuer des gens. Peu importe ce qui est écrit dessus, qu'il s'agisse d'une cartouche anti-émeute ou d'une cartouche de chasse, c'est la même chose.
"Les balles sont des munitions mortelles et ne devraient jamais être utilisées pour le maintien de l'ordre dans les rassemblements"
Neil Corney, un expert en armes à l'Omega Research Foundation, a déclaré à France 24 :
Toute utilisation de munitions à plomb est illégale contre les manifestants [selon les directives des Nations unies relatives aux droits de l'homme sur les armes moins létales dans le maintien de l'ordre, NDLR]. Il s'agit de munitions létales qui ne devraient jamais être utilisées pour le maintien de l'ordre lors de rassemblements, de manifestations etc., en particulier les manifestations pacifiques, ce qui est le cas de la plupart des manifestations en Iran.
L'utilisation de munitions à projectiles multiples, telles que les munitions cinétiques contenant plus d'un projectile, est contraire aux normes et standards internationaux en matière de maintien de l'ordre. Toute munition à projectiles métalliques doit être considérée comme létale - chevrotine, boulettes - quel que soit son nom : elle est potentiellement létale et ne doit jamais être utilisée contre des foules ou des manifestants.
Si les fusils de chasse sont chargés avec des munitions "moins létales" [comme des balles en caoutchouc ou des billes en plastique, NDLR], ils peuvent être moins létaux, mais à courte portée, ils peuvent être mortels. Comme les projectiles se dispersent, il est très probable que des parties vulnérables du corps soient touchées, comme la tête ou les yeux, ce qui entraîne des blessures graves, voire la mort.
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